jeudi 5 novembre 2009

Troisième partie

Je retourne donc aux urgences, et là, après avoir pensé à une appendicite, c’est finalement un syndrome occlusif qui est diagnostiqué. Les opérations précédentes, et surtout la première infection ont complètement collé les intestins, qui ne peuvent donc plus bouger normalement. D’autre part des parois internes se créent, des brides, qui viennent gêner le transit. Cette fois ci l’occlusion se lève seule, c'est-à-dire sans opération, je vous laisse imaginer comment. On est en octobre je crois. En décembre rebelote, nouveau séjour aux urgences, pas d’opération mais à nouveau sonde naso gastrique, attente de reprise de transit, régime bouillon jambon, et kilos perdus. Mais cette fois il y a une éventration. A force d’être ouverts et découpés au milieu les muscles abdominaux ne tiennent plus assez et risquent de laisser passer les intestins. Les femmes qui ont eu des césariennes connaissent ça.
Il faut donc rouvrir, décoller les intestins, et mettre une grille de renfort pour les abdos. Chouette. Comme c’est presque noël, on me laisse rentrer chez moi, mais régime bouillon biscottes jusqu’au 28 décembre 2005, jour de l’opération. Au moins je passe cette soirée avec ma fille et ma femme qui sont évidement revenues.
Le 28 je passe sur le billard, avec un peu d’anxiété. On m’a fait signé tout plein de papiers me faisant comprendre les risques. Au passage j’avais commencé les répétitions avec les nouveaux musiciens que j’ai trouvé, l’autre accordéoniste n’a pas pu poursuivre. C’est évidement mis en stand by.
Je passe donc pas loin de 9h sur le billard. C’est le chirurgien qui en a eu la nausée, cette fois. Il parait que quelqu’un avait balancé un pot de colle dans mon bide. Moi j’ai à nouveau droit à la morphine et un truc rigolo : des gaz dans la vessie. Comme j’aime bien les complications, j’ai donc chopé un germe. C’est la première fois que je pète par la verge. Ben excusez, mais c’est extrêmement désagréable. A nouveau scanner pour savoir d’où ça vient…mais pas d’opération, ça passera avec un mois d’antibiotiques.
Donc à nouveau une dizaine de jours d’hosto sans alimentation, attente des gaz, régime bouillon biscottes, etc… et perte de quelques kilos !
Ah un truc sympa aussi : les drains , des tuyaux plantés dans l'abdomen pour évacuer les sécrétions. Y en a un qui traversait tout le bide pour aboutir du coté du rectum. Et ils te le retirent à vif. Et quand c'est collé à l'intérieur, quand il tire, tu morfles. Malgré la morphine. Je crois que j'ai appelé à l'aide. On sait pas trop ce qu'on raconte dans ces cas là. Toujours est il qu'il en restait la moitié à l'intérieur, et qu'ils ne l'ont retiré que deux jours après. J'ai bien essayé de dire à l'infirmière qui a retiré la suite que j'avouais tout, mais ça n'a rien changé, j'y ai eu droit quand même.
Je suis ressorti mi janvier 2006, et en mai 2006, on donnait notre premier concert avec le groupe. Ce concert je l’ai donné en hommage au premier accordéoniste qui m’avait accompagné juste avant ma première opération. Car entre-temps, on lui a diagnostiqué un cancer du colon. A 32 ans, ça n’a pas pardonné. Il est mort et moi je suis là et parfois je culpabilise.
Depuis j’ai refait un séjour au CHU pour syndrome occlusif, mais je m’en suis sorti sans opération. J’ai orienté ma recherche scientifique notamment dans la lutte contre le cancer. Bien tard. Et je veux encore faire des concerts pour lui et pour moi. Bien tard aussi.

mercredi 1 juillet 2009

deuxième partie

Quand je me réveille c’est encore pire que la première fois. La douleur est vraiment forte. Le réanimateur vient me faire une première injection de morphine. De retour dans la chambre, on m’explique le topo. J’ai droit à une seringue de morphine qui délivre une dose à volonté. Je n’ai qu’à appuyer sur un bouton, c’est contrôlé électroniquement, pas de risque. Ouais. Comme je bosse dans l’électronique, ma confiance est moyenne mais bon. J’ai l’impression d’avoir tout le ventre en béton. Cette fois j’ai eu droit à la totale. Une ouverture du nombril au pubis, une lame en plastique de 5 cm de long plantée dans le flanc droit pour drainer les saloperies, et une ouverture de 3 à 4 cm de diamètre à gauche du nombril, pour l’intestin, que je ne peux pas voir et ça vaut mieux. L’infirmière qui vient me voir ce matin là est en retard dans son boulot, elle me fait une toilette rapide et dans ménagement, et fini par un « oh demain il faudra vous laver la tête » qui me fait encore marrer. Qu’est ce que j’en ai à foutre ! Ma femme est enfin arrivée, mais je ne verrai ma fille que plus tard, car j’ai encore tout plein de tuyaux partout et c’est pas un spectacle pour une fillette de 3 ans. Petit à petit ça s’améliore, mais la morphine a des effets secondaires assez spéciaux. Chez moi il me font voir des parties de ce que je regarde en rouge, par clignotement. Et quand je ferme les yeux j’ai l’impression de voir mes organes en gros plan, comme grossis au microscope électronique. Si seulement je pouvais peindre ce que j’ai vu pendant quelques jours ! Mais en même temps c’est absolument cauchemardesque. Après 2 ou 3 jours on m’enlève la sonde nasogastrique, c’est plus sympa que la pose. Et ensuite il faut attendre plusieurs jours que le transit intestinal reprenne. En attendant tu t’ennuies pas. La nuit t’es toujours réveillé toutes les 2 heures par les infirmières (quand c’est pas pour toi c’est pour ton voisin). Là tu te rends compte des problèmes de personnel en hôpital public. Elles sont 2, la nuit, pour la moitié de l’étage. Il m’est arrivé d’attendre 45 mn leur venue après un appel sur la sonnette que tu apprends vite à ne pas perdre de vue. 45 minutes ça peut être très long quand tu as des emmerdes.
Les premiers levers sont durs : il faut se lever le plus tôt possible après l’opération pour que ça ne soit pas trop difficile, mais t’es pas vraiment en état.
On vient m’expliquer le principe de la poche, comment ça se change, etc. Je ne vous ferai pas de dessin, mais ça manque de poésie. Je sais que je devrai reprendre le boulot avec ça, c'est-à-dire donner mes cours et ça m’angoisse un peu. Ca m’angoisse aussi pour la musique : une semaine avant l’opération, je venais de donner un premier petit concert public de mes chansons avec un accordéoniste très sympa, qui a improvisé comme un chef, dont je vous reparlerai ensuite. Ca avait l’air de bien partir, après plusieurs années de galères diverses. C’est remis à plus tard.
La reprise du transit, c’est les gaz. T’as jamais été aussi heureux d’avoir des gaz. En plus l’avantage de la poche c’est que personne ne les sent.. Au bout de 11 jours d’hopital (j’ai rien mangé depuis 2 jours avant mon entrée), j’ai perdu une dizaine de kilos. Les cuisses ont complètement fondu. Je rentre enfin chez moi, et là j’ai un mois pour récupérer avant de reprendre le boulot. L’opération suivante, qui consistera donc à remettre les intestins bout à bout, à me faire redevenir « normal » est prévue pour mars suivant, c'est-à-dire 5 mois plus tard.
Je passe les détails de ces 5 mois, les incidents réjouissants que tu peux avoir avec ce genre de poche. Les nuits que tu passes à te repasser tout ça dans la tronche.
Un détail croustillant, quand même. Je changeais parfois la poche au boulot, dans les toilettes évidement (repeinte une fois du sol au plafond, comme dans le sketch de Coluche, bref), donc j’utilisais des sacs poubelles, comme le font les femmes qui ont leurs règles. Ben ça a intrigué les femmes de ménage. A tel point qu’elles en ont ouvert un. Si, si. Et qu’elles sont allées se plaindre à leur supérieur, comme quoi quelqu’un leur faisait des vacheries. J’imagine leur tronche quand elles ont ouvert. La curiosité est un vilain défaut.
Bref. Nous voici arrivé en mars. Je dois dire que j’ai parfois hésité devant les risques de l’opération, par rapport à ma fille. Mais je me lance quand même. Je rentre donc à l’hosto assez confiant. Je partage la chambre avec un type assez spécial. Ancien militaire, membre de la garde rapprochée de François Mitterrand. Blessé plusieurs fois au combat, dont des opérations pas reluisantes à Bagdad pendant la guerre du golf. On aura quand même quelques discussions intéressantes, et de toute façon on a pas le choix.
Je repasse donc sur le billard, plus sereinement que la fois précédente, mais la douleur au réveil est, je crois, la plus forte des trois opérations. J’ai à nouveau droit à la morphine, aux visions, aux cauchemards, et aux jolies infirmières. La cicatrice de la stomie (le trou pour les intestins, à coté du nombril) est longue à se refermer (ils ne la ferme pas, ils la laissent se fermer seule, or elle fait 4 à 5 cm de diamètre…). Quand l’infirmière vient la nettoyer, elle plonge ses outils dans mon ventre. J’ose pas trop regarder, ça me stresse ! Du coup je regarde ailleurs et je me mets à siffloter Piaf, sans faire gaffe « quand tu me prends dans tes bras, je vois la vie rose… ». Mon voisin est écroulé, car l’infirmière est super mignonne. Mais j’ai pas encore la tête à ça. Quoique…
A nouveau il faut attendre la reprise du transit, et là c’est hyperdouloureux. Les intestins ont été décollés, changés de place, et ils n’aiment pas du tout ça. Chaque spasme te fait jongler gentiment… mais enfin, après encore une dizaine de jours sans alimentation, le pied. C'est-à-dire un pet. Un vrai. Timide d’abord, puis libérateur ! Car il signifie qu’on peut reprendre l’alimentation. Oh pas grand-chose, d’abord du bouillon insipide pendant un ou 2 jours. Puis du jambon. Puis un yaourt. Puis enfin un premier vrai repas… Le pied quoi. Je sors donc en un seul morceau, après avoir encore perdu 6 ou 7 kilos que j’avais difficilement regagné. Un mois passe à me remettre à la maison, à profiter de ma fille. Le boulot reprend. Une crise de douleur me renvoie momentanément passer une nuit chez mes copines les infirmières mais sans suite. L’été se passe presque normalement, juste avec quelques douleurs parfois .La rentrée arrive, et le stress avec. Ma femme est repartie, avec ma fille. Et là nouvelle crise de douleurs très violentes. Des spasmes qui font penser à un accouchement par leur régularité. Mais j’attends pas de bébé.

dimanche 21 juin 2009

première partie

Vendredi 8 octobre 2004. Ca fait deux ou trois jours que j’ai mal au bide, genre gastro mais pas net. Je ne mange quasi rien à midi, et décide d’aller chez le médecin l’après midi. Je lui précise une douleur coté gauche, pas de fièvre, légère diarrhée. Elle diagnostique une gastro suite à une angine et me donne des antibiotiques. Je passe néanmoins une très mauvaise nuit, car la douleur n’est pas très forte mais persistante, toujours au même endroit, suffisante pour empêcher de dormir. Et en plus je vais pisser toutes les 5 minutes. Du coup samedi matin j’appelle Sos médecin. Le docteur dit qu’il doit y a voir une infection urinaire en plus, que les antibiotiques vont agir. Il me donne une ordonnance supplémentaire et se barre. Je vais à la pharmacie, et là ça commence à se gâter : la fièvre monte et je tiens à peine debout. De retour chez moi ne je sais plus trop quoi faire. Je reste finalement chez moi et je passe encore une mauvaise nuit. Le dimanche matin j’ai encore dans les 38,5. J’appelle une infirmière de mes connaissance, lui demande son avis. Elle me conseille d’aller aux urgences, ce que je fais. Là bas, la fièvre a baissé, la douleur est toujours présente. On me fait une prise de sang, une radio abdominale, rien d’anormal. « Le foie n’est pas touché, dit le chirurgien ». Ben heureusement tiens, j’suis là pour qu’on me rassure, pas pour qu’on me trouve un truc grave !
On va vous faire un scanner. Bon. Le scanner c’est sympa, on te demande 10 fois si t’es allergique à l’iode, tu réponds que t’en sais rien, mais on verra bien. L’injection d’iode se fait par la perfusion qu’on m’a posé au début pour mettre un calmant. Ca fait assez bizarre, t’as l’impression de sentir tes veines chauffer. Même les yeux et l’anus se mettent à cuire… Sinon t’es dans un tunnel avec des capteurs qui tournent autour, rien de terrible. Ensuite c’est l’attente. La fatigue des nuits précédentes, la douleur toujours présente. Un peu d’angoisse, tout ça m’use. Je suis en « attente brancard », dans un couloir quoi.
Le chirurgien se pointe
C’est pas très bon, monsieur. Vous avez un abcès au colon (sur un diverticule). Il va falloir vous opérer, et peut être vous faire un anus artificiel. On peut essayer de drainer l’abcès sans grande ouverture, en cœlioscopie, mais le résultat n’est pas garanti. Ca dépend si l’intestin est déjà perforé ou non. Sinon il faudra enlever la partie malade.
Là t’en prend plein la gueule. Ca te brûle de partout et t’as envie de chialer. Ma femme et ma fille sont à 1000 bornes de là. Je ne pense qu’à ça, je ne peux même pas les revoir avant l’opération. Il faut que je les prévienne au téléphone. Depuis le début j’ai pas lâché mon portable. C’est pas autorisé mais ils ferment les yeux. J’appelle mais j’ai franchement du mal à parler. Elles vont prendre l’avion dès que possible.
Le chirurgien m’explique plus en détails ce qu’il va tenter, et m’indique qu’au pire je ne porterai l’anus artificiel (une poche sur le ventre) que quelques mois, et qu’ensuite on remet les 2 bouts d’intestin ensembles et que tout redevient comme avant. Ca s’appelle rétablir la continuité. Quand ça se passe bien.
On est le dimanche 10 octobre. Demain c’est mon anniversaire, j’aurai 36 ans. Il parait que je bats des records de précocité, ce genre d’abcès n’arrive en général qu’après 50 ans.
Je préviens ma mère, mais elle n’aura que le temps d’arriver devant la porte fermée du bloc, dans lequel je suis déjà.
Quand je me réveille je crois que j’ai plus mal qu’au départ, mais c’est normal. Je suis plein de tubes partout, dont une sonde naso-gastrique, et une autre dans la verge, c’est chouette de pouvoir pisser au lit. C’est le soir, je suis complètement à la ramasse, mais les infirmières sont sympas. L’une d’elle me caresse gentiment la joue, ça m’a marqué.
Ca ira mieux demain, ajoute-t-elle. Et là commence la ronde : toutes les 2 heures on vient te réveiller, te surveiller.
Le lendemain c’est mon anniversaire, visite des parents, d’une amie à moi que j’apprécie beaucoup, Marion, je lui ai dédié une chanson depuis.
Le chirurgien m’explique qu’il a tenté de drainer l’abcès en cœlioscopie. Je n’ai donc qu’une petite cicatrice et quelques trous…
On m’enlève la sonde naso gastrique. Ca fait du bien mais c’est une erreur, c’est trop tôt. Malgré les antibiotiques et l’opération, la fièvre ne baisse pas, la douleur est toujours là. Je passe encore une mauvaise nuit. Le lendemain mardi 12 octobre, le chirurgien fait sa visite du matin. Il n’a pas l’air très à l’aise, et précise qu’il aurait été plus tranquille et aurait passé une meilleure nuit s’il avait enlevé le bout d’intestin en cause. Sa sollicitude me touche ! Mais mon angoisse augmente. Du coup il décide de réopérer. Je rappelle ma femme, qui doit prendre l’avion le lendemain. Je lui dit au revoir, j’ai les boules.
Je repars au bloc, en grillant la priorité au passage à mon voisin qui est venu pour une appendicite qui n’a pas l’air trop urgente. Après réflexion je me suis rendu compte que je ne l’ai jamais revu après ! Rebelote donc au bloc, mais cette fois ils veulent me coller la sonde naso gastrique avant de m’endormir, question de sécurité me dit gentiment celle qui s’occupe de ça.
Cette sonde, pour ceux qui savent pas, c’est un grand tuyau qu’on t’enfile par le nez et qui doit descendre jusqu’ l’estomac et permettre d’aspirer les secrétions afin d’éviter notamment de se noyer dans son vomi. En temps ordinaire c’est un exercice pas très sympa, mais là, après l’opération, avec l’infection, la fatigue, la fièvre, et la péritonite, c’est carrément la torture.
Avalez, qu’elle me dit en enfonçant le tuyau…
Tu parles. Je commence à lui gerber gentiment sur les pieds
A ben je préfère que ce soit là que dans vous poumons dit elle. Avalez ! Et elle enfonce. L’ennui c’est qu’elle a pas remarqué que j’étouffe, que je re-gerbe, que ça me fait un putain de mal dans le bide. Et moi quand j’ai mal je cogne. Alors je balance des grands coups sur le matelas du lit de la salle d’opération.
Je réussi à reprendre ma respiration et lui balance « mais vous allez me faire crever » ! c’est sans doute nul, mais c’est la sensation que j’avais. Enfin ils me collent le masque. Je n’ai qu’une envie, m’endormir le plus vite possible. Vite. Quoi qu’il arrive.