mercredi 1 juillet 2009

deuxième partie

Quand je me réveille c’est encore pire que la première fois. La douleur est vraiment forte. Le réanimateur vient me faire une première injection de morphine. De retour dans la chambre, on m’explique le topo. J’ai droit à une seringue de morphine qui délivre une dose à volonté. Je n’ai qu’à appuyer sur un bouton, c’est contrôlé électroniquement, pas de risque. Ouais. Comme je bosse dans l’électronique, ma confiance est moyenne mais bon. J’ai l’impression d’avoir tout le ventre en béton. Cette fois j’ai eu droit à la totale. Une ouverture du nombril au pubis, une lame en plastique de 5 cm de long plantée dans le flanc droit pour drainer les saloperies, et une ouverture de 3 à 4 cm de diamètre à gauche du nombril, pour l’intestin, que je ne peux pas voir et ça vaut mieux. L’infirmière qui vient me voir ce matin là est en retard dans son boulot, elle me fait une toilette rapide et dans ménagement, et fini par un « oh demain il faudra vous laver la tête » qui me fait encore marrer. Qu’est ce que j’en ai à foutre ! Ma femme est enfin arrivée, mais je ne verrai ma fille que plus tard, car j’ai encore tout plein de tuyaux partout et c’est pas un spectacle pour une fillette de 3 ans. Petit à petit ça s’améliore, mais la morphine a des effets secondaires assez spéciaux. Chez moi il me font voir des parties de ce que je regarde en rouge, par clignotement. Et quand je ferme les yeux j’ai l’impression de voir mes organes en gros plan, comme grossis au microscope électronique. Si seulement je pouvais peindre ce que j’ai vu pendant quelques jours ! Mais en même temps c’est absolument cauchemardesque. Après 2 ou 3 jours on m’enlève la sonde nasogastrique, c’est plus sympa que la pose. Et ensuite il faut attendre plusieurs jours que le transit intestinal reprenne. En attendant tu t’ennuies pas. La nuit t’es toujours réveillé toutes les 2 heures par les infirmières (quand c’est pas pour toi c’est pour ton voisin). Là tu te rends compte des problèmes de personnel en hôpital public. Elles sont 2, la nuit, pour la moitié de l’étage. Il m’est arrivé d’attendre 45 mn leur venue après un appel sur la sonnette que tu apprends vite à ne pas perdre de vue. 45 minutes ça peut être très long quand tu as des emmerdes.
Les premiers levers sont durs : il faut se lever le plus tôt possible après l’opération pour que ça ne soit pas trop difficile, mais t’es pas vraiment en état.
On vient m’expliquer le principe de la poche, comment ça se change, etc. Je ne vous ferai pas de dessin, mais ça manque de poésie. Je sais que je devrai reprendre le boulot avec ça, c'est-à-dire donner mes cours et ça m’angoisse un peu. Ca m’angoisse aussi pour la musique : une semaine avant l’opération, je venais de donner un premier petit concert public de mes chansons avec un accordéoniste très sympa, qui a improvisé comme un chef, dont je vous reparlerai ensuite. Ca avait l’air de bien partir, après plusieurs années de galères diverses. C’est remis à plus tard.
La reprise du transit, c’est les gaz. T’as jamais été aussi heureux d’avoir des gaz. En plus l’avantage de la poche c’est que personne ne les sent.. Au bout de 11 jours d’hopital (j’ai rien mangé depuis 2 jours avant mon entrée), j’ai perdu une dizaine de kilos. Les cuisses ont complètement fondu. Je rentre enfin chez moi, et là j’ai un mois pour récupérer avant de reprendre le boulot. L’opération suivante, qui consistera donc à remettre les intestins bout à bout, à me faire redevenir « normal » est prévue pour mars suivant, c'est-à-dire 5 mois plus tard.
Je passe les détails de ces 5 mois, les incidents réjouissants que tu peux avoir avec ce genre de poche. Les nuits que tu passes à te repasser tout ça dans la tronche.
Un détail croustillant, quand même. Je changeais parfois la poche au boulot, dans les toilettes évidement (repeinte une fois du sol au plafond, comme dans le sketch de Coluche, bref), donc j’utilisais des sacs poubelles, comme le font les femmes qui ont leurs règles. Ben ça a intrigué les femmes de ménage. A tel point qu’elles en ont ouvert un. Si, si. Et qu’elles sont allées se plaindre à leur supérieur, comme quoi quelqu’un leur faisait des vacheries. J’imagine leur tronche quand elles ont ouvert. La curiosité est un vilain défaut.
Bref. Nous voici arrivé en mars. Je dois dire que j’ai parfois hésité devant les risques de l’opération, par rapport à ma fille. Mais je me lance quand même. Je rentre donc à l’hosto assez confiant. Je partage la chambre avec un type assez spécial. Ancien militaire, membre de la garde rapprochée de François Mitterrand. Blessé plusieurs fois au combat, dont des opérations pas reluisantes à Bagdad pendant la guerre du golf. On aura quand même quelques discussions intéressantes, et de toute façon on a pas le choix.
Je repasse donc sur le billard, plus sereinement que la fois précédente, mais la douleur au réveil est, je crois, la plus forte des trois opérations. J’ai à nouveau droit à la morphine, aux visions, aux cauchemards, et aux jolies infirmières. La cicatrice de la stomie (le trou pour les intestins, à coté du nombril) est longue à se refermer (ils ne la ferme pas, ils la laissent se fermer seule, or elle fait 4 à 5 cm de diamètre…). Quand l’infirmière vient la nettoyer, elle plonge ses outils dans mon ventre. J’ose pas trop regarder, ça me stresse ! Du coup je regarde ailleurs et je me mets à siffloter Piaf, sans faire gaffe « quand tu me prends dans tes bras, je vois la vie rose… ». Mon voisin est écroulé, car l’infirmière est super mignonne. Mais j’ai pas encore la tête à ça. Quoique…
A nouveau il faut attendre la reprise du transit, et là c’est hyperdouloureux. Les intestins ont été décollés, changés de place, et ils n’aiment pas du tout ça. Chaque spasme te fait jongler gentiment… mais enfin, après encore une dizaine de jours sans alimentation, le pied. C'est-à-dire un pet. Un vrai. Timide d’abord, puis libérateur ! Car il signifie qu’on peut reprendre l’alimentation. Oh pas grand-chose, d’abord du bouillon insipide pendant un ou 2 jours. Puis du jambon. Puis un yaourt. Puis enfin un premier vrai repas… Le pied quoi. Je sors donc en un seul morceau, après avoir encore perdu 6 ou 7 kilos que j’avais difficilement regagné. Un mois passe à me remettre à la maison, à profiter de ma fille. Le boulot reprend. Une crise de douleur me renvoie momentanément passer une nuit chez mes copines les infirmières mais sans suite. L’été se passe presque normalement, juste avec quelques douleurs parfois .La rentrée arrive, et le stress avec. Ma femme est repartie, avec ma fille. Et là nouvelle crise de douleurs très violentes. Des spasmes qui font penser à un accouchement par leur régularité. Mais j’attends pas de bébé.